Chapitre 4ème.
Point de vue de Cassandra.
Je commençai mon premier travail ici : Serveuse. Je me sentais prête après avoir rabâché des exercices, à n'en plus finir. Je pensais me montrer à la hauteur, et puis de toute façon, il fallait bien se jeter dans la gueule du loup un jour ou l'autre. Amélie était venue m'aider de temps en temps, à défaut d'avoir fait fuir la jeune femme après avoir agacée Loane, j'avais trouvé une nouvelle tutrice. Elle était amusante, j'avais appris rapidement à ses côtés, bien qu'heureusement, ses amies étaient venues m'épauler parfois. Lily était.. comment dire.. surexcitée, un peu sur pile. Elle possédait une énergie débordante. À elles quatre, elles avaient prit le rôle d'obstacles pour augmenter la difficulté de mon parcours, comme si elles imitaient les colonnes inertes, les tables volumineuses et les gens irrespectueux.

J'enfilai mon costume, une tenue bien trop sexy pour une simple serveuse. Je sortis de la chambre après avoir couché Léo, je reviendrais régulièrement le voir pour vérifier qu'il se tenait sage. Je ne pouvais pas prendre le babyphone, j'imaginais qu'aucun client ne devait savoir qu'une allumeuse était aussi mère, cela ternirait ma nouvelle image. Je me dirigeais vers le bar pour prendre les boissons commandées, Loane posa son plateau près de moi.
«Deux vodka redbull et un cocktail à ta façon Mike.»
Je l'observais donner ses ordres, le barman lui versa rapidement ses verres. Elle se cachait derrière une mèche de ses cheveux qu'elle avait laissé libre, tombante près de son ½il. Son fond de teint semblait beaucoup plus prononcé que les jours d'avant, peut être mon imagination me jouait des tours. Elle ne m'adressa pas un regard, je n'existais pas. Elle repartit entre les tables, je la suivis. Je restais dans la partie supérieure tandis qu'elle s'occupait de la partie basse, nous étions deux par étages, trois quand il y avait trop de monde. Il nous fallait être rapides, efficaces et gracieuses. Je me répétais ces mots comme des instructions à suivre à la lettre. Au bout d'une petite heure je commençai à faire mes marques, l'ambiance entre mes collègues était froide, j'imaginais autre chose, une complicité peut être entre nous plus.. captivante. J'espérais un peu de gaieté, une touche d'amusement nous donnant un peu l'envie de travailler ici. Mais il n'en était rien, peut être n'étais-je pas avec les bonnes collègues. J'aurais sûrement trouvé ce côté là avec Amélie et Judith mais elles dansaient ce soir.
De plus en plus d'hommes se présentaient, il y avait vraiment de tous les genres, je croisai même un transsexuelle. Je n'avais pas compris en l'apercevant jusqu'à ce que je lui demande ce qu'il voulait boire. Il me répondit de sa voix d'homme qu'il avait tenté d'efféminer en tournant sa tête vers moi. Et là j'avais vu les pointes sombres de sa barbe commençant à percer sa peau, la rendant plus rugueuse. Perturbée j'avais mis quelques secondes à retenir sa demande et à m'éclipser, j'avais du le gêner. Mais.. que faisait-il ici ? Il n'y avait pas d'hommes pour le satisfaire, à moins que c'était cela, les hommes lesbiennes ! La maison était vraiment très étrange, je n'étais plus sûre de m'y faire un jour.
Nous nous succédions au bar, l'une des filles qui était normalement en congé vint prêter main forte à Mike, il était débordé. Je continuai d'observer Loane de temps en temps, elle du le remarquer puisqu'elle me regarda à son tour. Nos prunelles se croisèrent tandis que nos mouvements semblaient imperturbables, nos esprits se dissociaient de nos corps et ne rejoignaient au centre de la salle. Une main baladeuse s'attarda sur ma fesse alors que je nettoyai une table, et se pressa sur ma peau. Je tiquai et me contrôlai pour ne pas me retourner et l'enlever, après tout, le client est roi. Je continuai mes déambulations, ma tutrice sembla surprise que je ne cris pas, peut être me trouverait elle moins empotée maintenant ! Je lui souris. Elle tourna la tête en levant les yeux au ciel, sans mépris cette fois. Mais elle se mit à jouer avec les hommes, avec leurs manies et leurs désirs insolents. Elle fit mine de rire, de les chauffer, penchant sa poitrine près d'eux lorsqu'elle posait les verres, leur redemandant de lui claquer les fesses lorsqu'ils l'avaient fait une première fois. Et son numéro semblait les amuser, elle riait de se montrer aussi pitoyable, pour quelqu'un qui connait le respect, mais au fond, elle était bien forte pour faire cela avec le sourire. Il était simple de le remarquer quand on essayait de porter ne serait-ce qu'une petite attention à la raison de sa place ici. Elle me regarda comme pour si elle avait gagné un défi, comme si elle avait prouvé qu'elle était meilleure que moi. Sa fierté prenait le dessus et je lui souris, je me fichais de l'image qu'elle voulait donner, j'étais heureuse qu'elle le soit aussi en se sentant supérieure à moi. Je ne me battrai pas contre elle.
En passant près d'elle je remarquai son ½il légèrement bleuté, on pouvait penser qu'il s'agissait de son maquillage, mais je compris vite qu'elle avait été battu. Les gens étaient cruels.. c'était certainement pour cela qu'elle s'était portée volontaire pour être serveuse cette nuit, elle n'était pas en mesure de finir son numéro. Ce n'était pas facile d'être très appréciée des clients, de se faire remarquer, on attirait les plus pourris de l'intérieur.
La salle se vida vers quatre heure du matin, les plus mal en point étaient difficile à faire partir ce qui prolongea la soirée d'une bonne heure. Je vins me coucher, exténuée. Je décalai les barricades que j'avais aménagé pour éviter à Léo de tomber du lit, bien qu'il dormait près du mur. Je le rejoignis lentement et l'admirais tandis que pour une fois, son visage semblait serein.
Je continuais chaque jour mes cours de danse, et passais souvent mes soirées, vers les heures de repas avec le groupe de filles qui m'avait accepté, avant que nos nuits tumultueuses ne commencent. Je me détendais petit à petit en voyant Léo rire avec elles, passant de bras en bras avec à chaque fois plus d'affection. Il était chouchouté. J'appris que Lily faisait partie d'un groupe de danse des rues avant son arrivée ici, et que pour échapper à son petit ami brutal, de la mauvaise racaille, elle n'avait pas eu d'autres choix que de trouver protection dans la maison. Le patron ne laissait pas entrer ce qu'il appelait «la vermine». Et puis il avait fini par se trouver un autre quartier et d'autres femmes à persécuter. Judith disait que pour sa part, ce métier lui collait à la peau puisque depuis petite, les gens la prenait pour une prostituée et une pétasse. Elle se faisait insulter et traiter de conne du fait de son apparence et de sa couleur de cheveux. Je ne pensais pas qu'elle soit si bête qu'elle ne le faisait paraître, disons qu'elle avait accentué cette image et elle l'avait tourné en dérision pour se donner une personnalité bien à elle pour son travail. Et Mercedes venait d'un quartier mal fréquenté, occupé principalement par les noirs. Elle rageait en disant que les blancs haut placés les entassait dans les endroits les plus infâmes et qu'ils ne portaient aucune importance à la sécurité des familles.
«Et c'est ces hommes d'affaires racistes que je satisfais tous les soirs ! Dire que c'est la seule vie que je peux avoir qui soit la plus respectable possible, c'est mieux que de se faire frapper tous les jours par un homme que j'aurais rencontré près de chez moi, comme mon père l'a fait avec ma mère, sous mes yeux, avant qu'elle ne meurt d'une maladie. On est quand même mieux ici que dans nos vies merdiques d'avant hein les filles ?»
J'avais pensé qu'elles se seraient senties mal à l'aise après ce que Mercedes venait de dire mais non, elles rirent et s'exclamèrent comme soulagées : «ça c'est sûr !». Strace – j'avais toujours trouvé son prénom étrange- était la seule à n'arborer qu'un mince sourire. Elle était de loin la plus sage de nous et elle semblait en connaître long sur la vie, bien qu'elle n'était qu'assistante en crèche. Enfin, personne ne pouvait juger, aucune ne connaissait véritablement le passé des autres.
Pendant que Judith s'amusait avec son nez retroussé et que Lily se prennait la tête avec Mercedes, de façon amicale mais incompréhensible, je m'interrogeai sur le passé de Loane, en observant Léo rire de Lily. Elle parlait énormément, et très vite, c'était presque usant. Elle me fatiguait !
«Et pour Loane, il lui est arrivée quoi ?»
Tout le monde se tut en baissant les yeux. J'avais mis les pieds dans le plat on dirait. Strace se dévoua pour me répondre.
«Ne t'en mêle pas trop, Loane n'est pas du genre à parler d'elle, enfin plus maintenant. Avant nous étions six en vérité. Loane et Christina faisaient parties de la bande. Nous avons presque toutes commencées en même temps ici, nous avons été formé par les plus anciennes, du moins moi surtout et j'ai à mon tour aidé les autres. Loane fut la dernière à arriver quelques jours après Christina. Elles se lièrent l'une à l'autre étrangement, nous n'y portions pas d'attention, peut être aurions nous du. Mais nous avions trop peur, peur de la réaction du patron.. Loane était très ouverte avant, elle était accessible, je ne pense pas qu'elle veuille qu'on parle de son passé sans son accord aujourd'hui, nous nous ferions étripées.
- Vous aviez peur de quoi exactement ? Qu'est ce qu'elles ne devaient pas ?»
Il y eut un long silence.
«Et puis un jour elles ont cessé de nous rejoindre, Loane est devenue froide, distante, comme tu la connais, Christina commença à devenir l'une de ces poufs qui travaillent avec nous, elle méprisait tout le monde et sautait sur la moindre nouvelle pour lui faire rejoindre son groupe. Elle est manipulatrice. Loane est restée solitaire. Nous n'avons jamais compris pourquoi ni ce qui était arrivé, peut être Loane s'était elle rendue compte de la vraie personnalité de Christina, peut-être le patron avait-il sévi.. nous avons toujours fait comme si tout était normal, comme si le pire n'était jamais arrivé, pour soulager nos consciences.
- On a juste été lâche ! Voilà ce qu'on a fait ! On a laissé tomber une amie, une nouvelle parce qu'on avait pas le courage de la mettre en garde, de la protéger ! Et maintenant on se cache derrière cette peur.»
Mercedes s'était soudainement énervée. Ses yeux noirs transperçaient le sol, son nez se retroussait légèrement, comme ses lèvres, on aurait dit un chien près à mordre de rage. Elle était terrifiante, et surtout, elle s'en voulait.
«On aurait du s'excuser auprès de Loane, mais on se sent trop mal pour le faire..»
Toutes étaient rongées par la honte et la culpabilité. Qu'est ce qui était si dangereux ici, qu'avait vécu Loane ?
«c'est étonnant que Christina ne te soit pas encore tombée dessus.»
Je ne répondis pas. Ce pouvait-il que cette étrange danseuse qui m'avait aidée à devenir serveuse ait été Christina ? Dans ce cas, Loane aurait-elle prit ma défense en la chassant de mon entourage ? Voulait-elle simplement me protéger ? Il y avait trop de mystères autour d'elle, je ne savais plus où donner de la tête mais.. j'étais attirée par cette histoire, je voulais comprendre.
Cette nuit, après que la salle ait fermé, pendant que le patron faisait ses comptes, je découvris ce que la plupart des filles faisaient, au lieu d'aller dormir. Dans le salon, elles mirent la musique à fond et dansèrent les unes contre les autres, collées. Judith et Lily m'emmenèrent avec elles sur la piste, se déhanchant autour de moi, tentant de faire lâcher prise à ma raison rigide.
« Lâche toi ! On a le droit de s'amuser nous aussi ! » crièrent-elles.
Je me laissai aller petit à petit, bien que gênée en voyant certaines filles pousser la danse plus loin que de simples amies ne le feraient. Deux d'entre elles s'ondulaient sensuellement, jouant de leurs charmes, laissant leurs lèvres se frôler. Mais personne ne semblait choqué par cela. Je ne comprenais plus rien !
Je partis rapidement, c'était difficile à accepter d'agir comme les autres, je n'avais pas les idées claires, je n'étais pas à ma place dans cet univers. Pourtant.. je n'étais pas indifférente à ce jeu entre elles. J'étais partagée entre le refus et l'attirance. Je parcourrai le couloir pour me rendre à la salle de danse, je m'arrêtai à l'entrée.

Loane dansait seule, lentement. Je remarquai qu'elle ne bougeait pas du tout comme ce que j'avais pu voir avant, elle semblait faire partie d'un monde bien plus élégant et raffiné que celui dans lequel nous évoluions. Elle chamboulait les danses de salon par la beauté de ses mouvements, qu'elle prenait soin d'accompagner jusqu'au bout, comme si elle allait prendre son envol, juste le temps d'une musique. Je la trouvais plus magnifique à chaque fois. Je la laissai, sachant que peu discrète, je me ferais repérée. Alors qu'au fond, je voulais rester à la regarder. Je crois que j'aurais pu rester des heures plantée là sans la quitter des yeux. Je me dirigeai vers la salle d'à côté, en jetant un dernier coup d'½il à Loane. Je crus voir ses yeux revenir sur le miroir après m'avoir regarder en coin, je devais être paranoïaque, je n'avais fait aucun bruit, elle n'avait pas pu me remarquer.
Je me stoppai brutalement en voyant à travers un mince filet de lumière sortant de la porte entrouverte, deux filles s'embrassant fougueusement contre un mur. J'aurais mieux fait de partir, de les laisser. Je devais retourner dans ma chambre, au calme, près de mon fils. Mais je ne pus détacher mes yeux. Leurs mains se tenaient avec force contre la parois, leurs corps se pressaient comme attirés l'un à l'autre et celle qui plaquait la deuxième femme contre le mur, laissait balader sa main sous son tee shirt, ce qui ne semblait pas gêner sa partenaire, au contraire.
«Empotée et espionne avec ça.»
Je sursautai manquant de lâcher un cri. Loane glissa son souffle chaud près de mon oreille.
«Je savais pas que ça t'intriguait autant.»
Je frissonnai en me retournant. Elle me sourit, amusée par ma gêne.
«Non.. je..
- Laisse les s'amuser un peu, ça ne gêne personne, le patron ne s'en mêlera pas, tant qu'aucune histoire d'amour ne démarre. Ça doit rester un amusement, rien d'autre. De toutes façon, nous sommes toutes hétéros ici, la seule chose que nous recherchons chez les filles, ce sont des envies que nous contrôlons, ce qui n'est pas le cas quand on bosse. On essaye juste de retrouver une certaine liberté, mais on connait toutes le règlement. Tâche d'en faire autant. Ne met personne en danger. Le patron ne permettrait aucun amour ici.»
Je la regardai intensément, je voulais déceler un indice, quelque chose qui me permettrait de la cerner. Peut être était-ce cela qui lui était arrivé avec Christina ? Mais cela ne correspondait pas avec son côté manipulatrice.
«Toi aussi tu es hétéro ?
-Ne cherche pas la merde, apprend à rester à ta place. Personne ne te fera de cadeaux ici, occupe toi de ce qui te regarde. Il me semble que ton gosse t'attend, t'as mieux à faire que fourrer ton nez partout.»
Elle était à nouveau devenue agressive, mais.. elle n'avait pas répondu à ma question. Peut être avais-je trouvé une faille dans l'image qu'elle voulait donner.
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